Régler des problèmes de jeu persistants grâce à une poche de thé

Lorsque je présente les notions liées à la mémoire motrice à des musiciens (répéter nos réussites ; éviter les changements de doigtés ou corrections de dernière minute dans des passages difficiles ; comprendre qu’on « apprend » nos défauts de posture), on me demande souvent comment corriger des problèmes très anciens de posture ou de jeu, donc de mauvais apprentissages sur le plan moteur qu’on a malheureusement consolidés au fil du temps. Chercher à corriger ceci nous fait souvent réaliser pleinement la portée de l’adage « Le naturel revient toujours au galop ». Par exemple, demander à un élève de baisser son épaule en jouant va souvent entrainer une réponse comme « D’accord, je vais faire attention ». L’élève joue ensuite quelques mesures avec une épaule corrigée eeeeeeeeet bing ! L’épaule est de retour en l’air :).

Si on prend la logique de l’apprentissage moteur à la lettre, en répétant un mauvais doigté 10 fois de suite, on aura besoin de 11 répétitions avec le bon doigté pour effacer le mauvais apprentissage — et on commence alors le nouvel apprentissage en accumulant les répétitions du bon doigté. Tout aussi logiquement, une musicienne qui joue depuis des années avec une épaule fautive va me demander « Est-ce que ça va me prendre des années avant de corriger mon défaut ? ». (Question souvent posée avec une panique contrôlée évidente dans la voix…) La réponse est oui et non. Oui, cela prendra du temps pour corriger un défaut si ancien, mais tout n’est pas perdu. Je vous propose ici deux avenues pour corriger les anciens défauts de posture tenaces.

La première avenue évite une attaque frontale du défaut dans notre répertoire actuel en travaillant simplement du nouveau répertoire. Plus précisément, on peut profiter de la « page blanche » que représente une nouvelle pièce pour apprendre de la nouvelle musique, mais en faisant très attention de ne pas répéter l’association malheureuse qu’on a faite auparavant avec le défaut à corriger. Ainsi, on repart à zéro, sans le défaut ! Cependant, ce défaut va assurément se pointer le bout du nez pendant les répétitions de la nouvelle pièce, mais on peut le garder toujours à l’œil pour apprendre la nouvelle musique en l’associant avec les bons mouvements et avec une bonne posture. En résumé, si on veut rebâtir notre technique de A à Z, mieux vaut le faire avec du répertoire totalement nouveau (et pas trop difficile !) que de désapprendre et réapprendre du répertoire déjà appris, ce qui sera beaucoup plus long et fastidieux. Imaginez que vous arrivez en voiture à un carrefour où vous avez le choix d’aller à droite ou à gauche. Admettons que vous prenez à gauche et que vous réalisez après 30 minutes de route que vous devez faire demi-tour et aller plutôt dans l’autre direction. Il est impossible de corriger notre erreur sans refaire 30 minutes de route en revenant sur nos pas : c’est immanquablement une heure complète perdue avant même de prendre le bon chemin. L’analogie s’applique avec notre répertoire. Pour jouer aisément une pièce apprise depuis longtemps sans le défaut de posture, il faut commencer par désapprendre le défaut en luttant contre le réflexe installé (faire demi-tour), et c’est seulement lorsqu’on aura passé un certain temps à corriger le défaut qu’on commencera à consolider le nouveau réflexe de jeu (commencer à rouler dans la bonne direction après avoir repassé le carrefour).

Mais qu’en est-il si on doit absolument conserver notre répertoire ? On ne peut pas toujours se payer le luxe d’un nouveau départ avec du répertoire entièrement nouveau. C’est ici qu’arrive la poche de thé.

Imaginez que vous mettez une poche de thé dans une tasse d’eau chaude. Juste avant que vous déposiez la poche dans l’eau, l’eau est claire. Dès qu’on dépose la poche de thé, on voit la couleur de l’eau changer progressivement et elle devient éventuellement presque opaque. De la même façon, vous allez « infuser » progressivement votre jeu avec la conscience du défaut de posture à corriger. Pour ceci, vous pourriez vous consacrer entièrement à ce défaut, 10 minutes par jour. En passant, des défauts de posture limitent beaucoup l’aisance avec laquelle vous jouez et ne disparaitront certainement pas alors que vous travaillerez du répertoire de plus en plus difficile ; le défaut va plutôt vous limiter de plus en plus. Considérant ceci, consacrer 10 minutes par jour à sa correction peut vous apporter des bénéfices à long terme beaucoup plus grands que l’effort demandé à court terme.

Pendant ces dix minutes, votre tâche sera simple : jouer des passages faciles de vos pièces, des exercices techniques de base ou encore des passages difficiles de vos pièces en utilisant la stratégie des points d’orgue. L’objectif est de jouer quelque chose avec une facilité qui vous permet de consacrer 1 % de votre attention au jeu et 99 % de votre attention à garder le défaut à l’œil.

10 minutes. C’est tout. Dat’zit comme disait Molière. Pour le reste de la journée, on joue comme d’habitude.

Qu’arrivera-t-il lors de votre première journée à tenter ce défi ? Vous ferez votre défi et, pour le reste de la journée, vous allez jouer comme d’habitude et vous penserez 1 fois ou 2 à corriger votre défaut. Le lendemain, vous referez le défi, et vous penserez ensuite 3 ou 4 fois à corriger le défaut pendant votre journée normale. Le surlendemain, 5 fois, puis 8 fois, puis 12 et éventuellement vous aurez constamment votre défaut à l’œil jusqu’au jour où vous réaliserez que votre défaut n’apparaît plus même lorsque vous n’y portez plus attention volontairement.

Aéroport et blessures

Pourquoi notre défaut revient-il tout le temps ? Pourquoi ne réalise-t-on pas par nous-mêmes qu’il est là ? C’est assez simple : on a tellement souvent la sensation de jouer avec ce défaut que notre cerveau ne le détecte plus. C’est le même phénomène que les gens qu’on croise dans nos vies et qui vivent près d’un chemin de fer ou d’un aéroport. La question classique est « Ça ne te dérange pas ? » et la réponse classique est « Je ne l’entends plus ! ». Le cerveau de la personne est tellement habitué à entendre l’avion décoller ou le train passer que l’information n’est même plus traitée comme une nouveauté par le cerveau et la personne n’y porte plus attention. Ça passe sous le radar. Le même phénomène survient avec nos défauts de posture.

J’ai mentionné plus haut que nos défauts de posture limitent la bonne mécanique de nos mouvements, mais c’est le meilleur des mauvais scénarios. Même si on ne porte plus attention à notre défaut de posture, il demeure que les muscles impliqués dans le défaut travaillent pour rien ou travaillent mal, et ainsi arrive la possibilité de blessures. C’est pourquoi je suggère souvent aux musiciens à qui j’enseigne que les blessures d’usure liées au jeu instrumental (tendinites et autres qui sont le résultat de mouvements répétés) sont des « tensions apprises ». J’insiste sur le mot « apprises » puisque les mouvements impliqués dans ces défauts posturaux ont été répétés et donc consolidés ; ils font partie des informations qu’on a intégrées en même temps qu’on apprenait des notes, des accords, des doigtés, des coups d’archet ou des paroles. Si vous souffrez de ce genre de problème, ce n’est pas un petit thé qui va tout régler ! Allez consulter un spécialiste et prenez les mesures nécessaires. Vous pourrez reprendre les stratégies suggérées ici lorsqu’on vous donnera le feu vert pour recommencer à jouer.

Les conseils que je vous ai donnés ici visent à maximiser l’efficacité de vos mouvements dans le jeu et limiter les effets négatifs des défauts posturaux. Or, cette conscience de la posture et des mouvements efficaces est généralement le premier élément qui disparait de notre attention lorsqu’on s’attaque à du répertoire trop difficile. Ainsi, choisir du répertoire dont le niveau de difficulté nous convient aura des effets bénéfiques à très long terme.

Vous me direz que vous jouez du piano, de la flûte, de la guitare ou des percussions, mais c’est votre corps qui est l’intermédiaire entre votre cerveau et l’instrument !

Mais qu’est-ce que tu fais à Melbourne ?

On m’a récemment posé la question, d’une façon tout à fait polie : Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Grande question existentielle — du moins dans mon existence — à savoir pourquoi, à 42 ans, tout vendre pour ne garder que le contenu de trois valises et aller s’installer à l’autre bout du monde. En fait, après plusieurs années à transmettre de la recherche et à imaginer des moyens de l’appliquer pour les musiciens, j’avais besoin de produire de la recherche aussi, et de retrouver un peu le plaisir d’apprendre. Je n’étais pas du tout fatigué de « faire apprendre », mais il y a quelque chose que je trouve vraiment passionnant dans le fait de participer à un projet qui va découvrir du savoir qui nous est encore caché. Donc, grâce à une bourse du FRQSC (Fonds Québécois de Recherche sur la Société et la Culture), me voilà à la Sir Zelman Cowen School of Music and Performance de l’Université Monash à Melbourne, en Australie pour un stage postdoctoral de deux ans pendant lequel je mènerai un projet de recherche dans ce superbe pays des kangourous, des koalas et du Vegemite.

Pour ceux et celles qui se demandent ce qu’est, concrètement, un « postdoc », c’est un stage de recherche davantage autonome qu’on réalise après des études doctorales (qui, elles, sont supervisées), dans une entreprise, un groupe de recherche ou une institution d’enseignement supérieur. Le stage peut être financé par une bourse (mon cas) ou être affiché par une université comme un contrat de travail d’environ un à trois ans.

Lorsqu’on demande une bourse pour réaliser un stage postdoctoral, on doit démontrer qu’on vise à poursuivre notre recherche doctorale dans une nouvelle direction. Ma recherche doctorale portait sur l’utilisation de la caméra vidéo comme outil de réflexion chez les musiciens. Bien que plusieurs musiciens affirment s’en servir — et que son utilité apparaisse plutôt « logique » — il y a encore peu de recherches qui ont porté sur les meilleures façons d’utiliser cet outil en musique. Pour ma recherche, j’ai comparé les données d’un groupe de musiciens qui ont utilisé la caméra vidéo dans les dix premières séances de travail d’une nouvelle pièce avec les données d’un groupe de musiciens qui ont réalisé les mêmes tâches, mais sans utiliser la caméra. J’ai pu observer que les musiciens qui ont utilisé la caméra 1) évaluaient des aspects différents de leurs prestations lorsqu’ils visionnaient leurs vidéos; 2) jouaient ensuite des segments plus longs de leurs pièces, et à un tempo plus rapide, plus tôt dans le processus d’apprentissage et 3) formulaient des réflexions plus liées à la résolution de problèmes qu’à des réactions émotives de type content/pas content durant leur travail instrumental. (Si la recherche scientifique vous intéresse, je vous invite à écouter cet épisode de mon podcast qui s’intitule « La recherche scientifique 101 »)

Après quelques années à présenter ces résultats à des musiciens, j’ai souvent eu des témoignages de profs qui utilisaient la vidéo avec leurs élèves pour corriger des éléments de leur jeu entre les leçons hebdomadaires (bravo!), de parents qui mentionnaient que cela motive grandement leur enfant de produire une vidéo qui sera ensuite partagée avec la famille sur le « Groupe Messenger familial » (plein de bravos!), ou encore d’étudiants musiciens qui confirmaient mes résultats en affirmant avoir l’impression de faire des pas de géant par eux-mêmes entre leurs leçons, et qu’ils pouvaient ensuite aller beaucoup plus loin avec leurs profs lors des leçons (bingo!).

En même temps que je me suis beaucoup intéressé à la réflexion que le visionnement solo d’une prestation peut donner, et que je m’intéresse depuis toujours à l’efficacité de la pratique individuelle, j’ai vu passer des résultats de recherche très intéressants sur l’apport de la collaboration entre étudiants, tant sur le plan de la motivation que sur le plan de l’apprentissage. J’ai fait plusieurs expériences en ce sens dans mon enseignement à l’UdeM, et ce que j’ai pu constater chez mes étudiants m’a convaincu de l’importance d’instaurer des activités qui leur donnent l’occasion de développer leur réflexion et leur capacité à collaborer et à s’échanger des commentaires.

C’est justement là-dessus que porte mon nouveau projet de recherche. Le visionnement solo de prestations personnelles offre plusieurs bénéfices aux musiciens, mais qu’en est-il lorsqu’on ajoute une dimension sociale à l’activité en partageant la vidéo avec des collègues ? On a beaucoup de recherches sur la façon dont les profs devraient formuler leurs commentaires à leurs élèves, mais est-ce que ces recommandations s’appliquent également dans le cas de la rétroaction entre pairs ? Qu’arrive-t-il à des étudiants musiciens sur le plan de leur motivation ou de leur autonomie d’apprentissage lorsqu’on instaure davantage d’activités de rétroaction entre pairs dans leur cheminement instrumental ? Est-ce que de telles activités peuvent changer le rapport des étudiants avec le processus de rétroaction en général (commentaires de profs, de juges, du public, etc.) ?

Voilà quelques questions auxquelles je vais tenter d’apporter une contribution avec mon projet de recherche ici. Dans mes prochains billets, je vous parlerai un peu de mes découvertes sur l’apprentissage collaboratif qui m’apparaît comme un aspect grandement sous-estimé dans l’enseignement instrumental.

En attendant, quelques anecdotes personnelles d’un Québécois en Australie :

– Les Australiens sont vraiment sympathiques et te lancent un « Hawaya mate ? » (How are you, mate?) avec un gros sourire lorsqu’on les croise dans la rue. Ça me semblait bizarre au début dans ma tête de Nord-Américain dans sa bulle, mais c’est finalement beaucoup plus agréable que de se croiser les yeux baissés.

–  Comprendre l’accent australien est un beau défi. Cela dit, il y a une théorie/légende urbaine qui dit que le peu d’articulation des Australiens serait explicable par le fait d’éviter d’avaler des mouches en parlant. Environ 735 mouches digérées plus tard, je vous confirme la théorie et je réfléchis vraiment à ce que je veux dire avant de parler en marchant…

– J’ai trouvé le courage de goûter au Vegemite : en gros, c’est de la mélasse dans laquelle on a échappé 3 chaudières de poudre de bouillon de poulet. J’ai un pot de Vegemite — avec deux petites marques de cuillère dans la pâte — à vendre si jamais il y a des intéressés.

– 37 degrés un 2 janvier, ça fait bizarre pour un Québécois, et je ne pensais pas que le niveau d’UV pouvait atteindre 14 sur l’application de Météomedia

– Quand on marche tard en soirée et qu’on trouve bizarre d’être complètement seuls dans la rue, c’est parce que les Australiens, EUX, savent que « elles » sortent quand il fait noir. 1 mètre d’envergure d’ailes et elles volent parfois environ 7-8 pieds au-dessus du milieu de la rue : My God que j’avais hâte d’arriver à la maison…

Défi du 1 % : coda

Merci à ceux et celles qui ont lu mes 12 articles du Défi du 1 % de février, et un merci particulier pour ceux et celles qui ont essayé les stratégies et qui ont commenté leur expérience sur mon site Internet ou ma page Facebook.

L’objectif du défi du 1 % était d’apporter quotidiennement une petite amélioration à notre façon de travailler à travers l’expérimentation de stratégies que je voulais les plus simples possibles. Malgré leur simplicité, ces stratégies peuvent apporter des changements considérables à l’efficacité de votre travail. Certaines stratégies vous ont probablement intéressé alors que d’autres vous semblaient peut-être moins pertinentes.

Voici ce que je vous suggère pour la suite :

  1. Dressez une liste des stratégies qui vous ont le plus intéressé
  2. Dans votre esprit, faites un top 3 des stratégies que vous avez trouvées les moins intéressantes, puis pensez à ce qui vous déplait le plus dans vos prestations. Réfléchissez sincèrement s’il existe un lien entre les deux… (Il y en a souvent ! Ce qu’on n’aime pas faire dans notre studio de travail va correspondre à un aspect souvent défaillant de notre préparation)
  3. Pour ne pas retomber dans vos vieilles habitudes, prenez les stratégies que vous souhaitez maintenir + une qui vous intéresse moins, mais que vous êtes disposé(e) à expérimenter. Pour chacune d’elles, créez des événements sur votre appli d’agenda préférée avec une récurrence correspondant au nombre de stratégies choisies. Par exemple, si vous avez 6 stratégies qui vous intéressent, entrez la première dans votre agenda pour demain matin avec une notification à l’heure qui vous convient, puis mettez une récurrence aux 6 jours pour l’événement.
  4. Pour après-demain, répétez l’opération avec la 2e stratégie, et ainsi de suite. Vous aurez ainsi un petit rappel quotidien d’une stratégie à utiliser durant la journée. Si vous le faites, je vous assure que le 1 % par jour sera largement dépassé !

Le travail instrumental implique plusieurs variables, et nous ne pouvons pas exiger de nous-mêmes d’être parfaitement efficaces pour chaque variable. Cela dit, tout est relié, et c’est pour cette raison que cette série d’articles me tenait à cœur : améliorer un aspect de l’efficacité de notre cheminement musical va avoir un effet domino sur bien d’autres aspects.

Bon travail !

Défi du 1 % no. 12 : J’aurais voulu être un artiste

J’ai un grand intérêt pour la performance et l’optimisation de l’efficacité du travail, mais il y a un sujet qui me fascine de plus en plus et qui est souvent opposé (à tort selon moi) à cette performance : la créativité.

Ça me fascine puisque, dans les projets auxquels j’ai participé qui impliquaient d’amener des musiciens en formation à faire de la composition et de l’improvisation, on remarque très clairement un grand bond en avant de leur implication et de leur motivation.

Ça me fascine à cause de l’extraordinaire effet que ces activités ont dans des activités de groupe alors que des élèves, même de niveaux différents, se retrouvent à collaborer sur un pied d’égalité qui n’existe pas dans des cours plus portés sur l’interprétation.

Ça me fascine de constater que des élèves qualifiés de tannants ou encore des élèves avec des troubles d’apprentissage se révèlent souvent des compositeurs ou improvisateurs hors pair, et surtout, avec une implication et une concentration qu’on ne leur connaît pas. (Est-ce que trouble d’apprentissage et surplus de créativité pourraient être liés ?)

Si vous êtes habitué d’interpréter la musique des autres, il est possible que vous soyez en train de vous dire que ce n’est pas pour vous. Or, je pense qu’en tant qu’interprètes, on a souvent un blocage puisqu’on croit malheureusement que ces compositions ou improvisations doivent être aussi « géniales » que la musique des grands compositeurs qu’on a l’habitude de jouer.

Pourtant, il est assez simple d’ajouter une touche de créativité à notre travail ?

  • Combien de façons différentes pouvez-vous jouer une même gamme ?
  • Combien de façons différentes pouvez-vous jouer un passage facile d’une pièce ?
  • Pourquoi ne pas prendre une partition facile et lire les mesures dans le désordre ?
  • Comment une de vos pièces déjà apprises sonnerait-elle avec des croches blues swingées ou des accents jazz ou sud-américains ?
  • Pourquoi ne pas prendre une pièce facile et la lire en imaginant une armure différente ?
  • Pourquoi ne pas essayer d’improviser un exercice pour un aspect technique du jeu de votre instrument ? Pourquoi ne pas composer une étude qui rassemble les meilleurs passages de vos improvisations ?
  • Qu’est-ce qui vous empêche de composer un contrechant sur une mélodie connue ?
  • Pourquoi ne pas vous prendre pour Gounod qui a composé une mélodie sur une pièce en arpèges de Bach ? Ça a quand même donné un Ave Maria chanté partout dans le monde ! Vous avez sûrement quelque part une petite étude ou pièce jouée en arpèges sur laquelle vous pourriez vous essayer ?

Ces activités demandent de la créativité, et on y retrouve même des stratégies associées à l’effet d’interférence contextuelle dont j’ai déjà parlé. Ces activités sont possibles à réaliser en parallèle à la préparation rigoureuse d’un programme de concert. Je vous assure que votre motivation et votre rapport à la musique n’en seront qu’augmentés.

D’ailleurs, une étude a démontré que les meilleurs musiciens ont souvent passé plus de temps dans leur jeunesse à s’amuser avec leur instrument en improvisant et en jouant des pièces à l’oreille que leurs collègues moins performants qui ont passé plus de temps à travailler de façon très formelle ! Je l’écris de nouveau : jeu à l’oreille et improvisation en plus de la pratique formelle…

John Lennon a dit « Chaque enfant est un artiste jusqu’à ce qu’on lui dise qu’il n’en est pas un ». Chers interprètes qui croyez que la créativité n’est pas pour vous, vous avez une fibre créative en dormance ! Elle a juste pâli et s’est empotée un peu plus à chaque bip du métronome…

Défi du 1 % no. 11 : visualisation

Je m’excuse par avance de l’affirmation suivante : nos cerveaux sont un brin stupides…

Avez-vous déjà été perdu dans vos pensées en imaginant une conversation difficile à venir avec quelqu’un et vous réalisez avec surprise en revenant à la réalité que vous êtes tendu, avec le cœur qui bat plus fort et les mains moites ?

Notre cerveau, une merveilleuse machine à bien des égards a parfois beaucoup de difficultés à différencier ce qu’on imagine de ce qu’on vit réellement. Même si ce n’est pas son principal atout (être dans la lune avec le corps qui réagit à l’avance comme si on était déjà pendant la conversation difficile), nous pouvons quand même en bénéficier.

Ce qui est bien avec notre cerveau un brin stupide, c’est qu’il ne fera pas une grande différence entre jouer une pièce pour vrai sur notre instrument et s’imaginer en train de le faire. En fait, visualiser notre jeu d’une pièce dans notre tête ferait appel aux mêmes zones du cerveau et aux mêmes processus cognitifs que le jeu physique de l’instrument. C’est un peu comme si, en visualisant l’exécution de notre pièce, le cerveau s’entrainait à traiter les informations mémorisées et à envoyer les mêmes commandes aux muscles comme si on jouait pour vrai. Tout ce qui manque est la réponse musculaire. Un chef d’orchestre qui répète sans orchestre !

Idéalement, on devrait utiliser cette stratégie lorsqu’on a développé une bonne maîtrise de la tâche à visualiser. Donc, dans le cas des musiciens, quand on connaît assez une pièce pour pouvoir s’imaginer la jouer, et ceci est rarement possible après les premières lectures. Il faut donc avoir fait un bout de chemin dans la pièce pour bien profiter de cette stratégie.

Pour faire de la visualisation, il suffit de se concentrer et d’imaginer ce qu’on verra, pensera et ressentira, alors que la musique joue dans notre tête. Ce qui est merveilleux, c’est qu’on peut utiliser cette stratégie n’importe où (à éviter pour lors de premiers rencarts, soupers d’amoureux ou conversations avec belle-maman), et qu’elle sollicite activement des informations traitées par les mémoires visuelle, auditive et conceptuelle. Ces trois mémoires sont souvent négligées au profit de la mémoire motrice qui est surutilisée. Enfin, un autre avantage (fait vécu très souvent !) est de réaliser pendant ces visualisations que quelque chose cloche dans notre mémorisation, ce qui est toujours préférable au fait de réaliser ceci sur scène. Bonjour le retour des mains moites et du cœur qui bat fort dans ces cas-là !

Défi du 1 % no. 10 : Aller voir ailleurs…

Avez-vous un 2e instrument dont vous jouez à la maison ? Par exemple, si vous n’êtes pas pianiste, avez-vous accès facilement à un piano quelque part ? Pourquoi ne pas tenter de jouer vos pièces sur un autre instrument que votre instrument principal ?

Évidemment, le résultat sonore sera moins glorieux, et il y aura des erreurs. En revanche, la « traduction » de votre pièce sur un autre instrument vous enlèvera tous vos automatismes acquis en répétant sur votre instrument principal et vous obligera à vous appuyer uniquement sur les informations auditives et conceptuelles que vous aurez acquises. Les arrangements que cet exercice amènera vous forceront à creuser encore davantage votre compréhension du texte de votre pièce.

Défi du 1% no. 9 : Les yeux grand fermés

Il y a un aspect de la mémoire motrice qui est souvent méconnu des musiciens, et qui peut même sembler contradictoire. Une fois qu’on a bien appris une pièce et qu’on a donc bien consolidé les mouvements nécessaires pour la jouer, la mémoire motrice fonctionne beaucoup mieux quand… on lui fout la paix. Combien de fois, sur scène, avez-vous anticiper un passage difficile qui approche en vous disant que vous deviez vraiment faire attention à votre technique, et vous vous mettez à sur-superviser vos mouvements ? Eh bien, c’est justement la pire chose à faire… À preuve, le moment classique alors qu’une personne monte l’escalier pour aller sur scène dans un gala et trébuche. D’après vous, la personne n’a-t-elle pas une certaine expérience dans l’action de monter un escalier ? Ça ressemble beaucoup à la conséquence de se dire « je ne dois vraiment pas tomber en montant l’escalier alors je vais superviser une tâche que mes jambes font depuis des décennies ».

Sur le plan des prestations artistiques et même des sports, on dit souvent sagement de se concentrer sur le résultat plutôt que sur le processus. Le chanteur d’opéra qui chante pour la dernière rangée, le golfeur qui se concentre sur le vert plutôt que sur ses coudes, la joueuse de tennis qui pense à l’endroit où elle souhaite que la balle tombe après son service plutôt qu’à la position de ses genoux. Pourquoi ? Parce que les mouvements moteurs, une fois acquis, sont très sensibles à l’interférence qu’une tentative de les contrôler va causer. Considérez votre mémoire motrice comme une jeune enfant qui vous dit « capable toute seule ». Ou encore mieux, pensez au malaise qu’on ressentirait en conduisant si notre passager mettait une main sur le volant et nous aidait à conduire. « Non, mais veux-tu te $%//$ »%/% »/de là ! ». Idem pour votre mémoire motrice : « Non, mais veux-tu me laisser faire mon travail!!! ».

Je vous présente brièvement les résultats de deux études en musique qui ont porté sur le phénomène. L’étude de Duke, Cash et Allen (2011) a permis de démonter que plus les musiciens et musiciennes concentraient leur attention sur le résultat sonore de leur jeu (distal focus of attention en anglais), plus précis était le contrôle de leurs mouvements. Et ça devient encore plus intéressant avec l’étude de Mornell et Wulf (2019) qui ont demandé à des musiciens et des musiciennes de penser soit à leur technique, soit au son produit, pendant que des évaluateurs leur attribuaient une note pour l’aspect technique et l’aspect musical de la prestation. Aux musiciens qui jouaient en pensant à leur son, les évaluateurs ont donné des notes plus élevées pour la musicalité de la prestation (logique), mais aussi pour l’aspect technique ! Les prestations étaient donc jugées plus belles musicalement et techniquement plus solides lorsque le musicien ou la musicienne se concentrait sur le son de son instrument.

Je me souviens très bien avoir découvert ces deux études coup sur coup un matin du mois de juillet, puisque l’après-midi même de ma découverte, je me rendais au Domaine Forget de Charlevoix pour assister à une classe de maître du guitariste Pepe Romero, un guitariste de renommée mondiale qui, à l’aube de ses 80 ans, demeure un des guitaristes les plus appréciés et les plus rapides sur la planète. Et qu’a-t-il dit à TOUS les guitaristes qu’il a écoutés pendant la classe de maître ?

« Joue les yeux fermés au moins 30 minutes par jour pour te concentrer sur ton son et sur la musique ». Tiens, tiens…

Défi du 1% no. 8 : C’est à moi que tu parles ?

Vous avez eu une idée géniale pour un projet, vous y réfléchissez pendant quelque temps, et vous décidez d’en parler à une autre personne. Au moment d’exprimer votre idée, vous cherchez vos mots et la personne à qui vous en parlez ne vous comprend pas. Vous réalisez alors que votre idée n’était pas si claire que ça.

Ça vous dit quelque chose ?

Le même phénomène m’arrive quotidiennement lorsque j’écris des articles de blogue comme celui-ci, un texte pour mes étudiants ou encore un courriel délicat. J’écris, je reformule, je relis, je reformule, je déplace une virgule, je dors là-dessus, je reprends le texte le lendemain et je remets la virgule à son endroit de départ (soupir).

Qu’on soit en train d’écrire un texte ou de parler d’un projet, la transmission de nos idées implique de mettre en mots — et en ordre — plusieurs idées qui « flottent » dans notre tête, et qui nous semblent claires puisqu’elles peuvent flotter sans problèmes dans notre esprit. L’effort d’exprimer ces idées sous forme de mots, d’établir une séquence et de les hiérarchiser constitue un défi, mais relever ce défi est très utile pour les clarifier du même coup. À ce sujet, je doute de la citation vue fréquemment qui dit quelque chose comme « une idée claire s’exprime facilement ». Je préfère de loin « Exprime tes idées pour te forcer à les clarifier ».

Lorsqu’on répète, on a plusieurs idées ou plusieurs remarques qui nous passent par la tête, mais on n’a pas nécessairement à les exprimer à haute voix. Cependant, lorsqu’on enseigne et qu’on écoute notre élève, on a aussi plusieurs idées qui nous passent par la tête, mais on doit choisir ce dont on va parler ensuite parmi toutes ces idées. En tant qu’enseignant ou enseignante, on doit faire l’effort d’exprimer clairement nos idées alors que l’interprète n’a pas à le faire. Or, faire cet effort sera aussi très utile pour l’interprète pendant le travail instrumental. En s’exprimant à haute voix entre ses essais, l’interprète fait ce qu’on appelle de l’autodidaxie (se parler à soi-même).

Ce n’est pas la stratégie préférée de personne à qui j’en ai parlé jusqu’à maintenant ! On sait tous ce qu’on pense malheureusement des gens qui font de l’autodidaxie dans l’autobus ou en marchant sur la rue. Pourtant, faire ceci entre nos répétitions aurait des effets bénéfiques pour l’apprenant.

De façon plus précise, l’autodidaxie peut consister en a) formuler à haute voix des commentaires sur le jeu, b) énoncer à haute voix les étapes importantes pour réussir quelque chose ou c) se rappeler les éléments importants sur lesquels on doit se concentrer. Ceci peut vous faire penser à ce qu’un enseignant ou une enseignante dit pendant une leçon instrumentale, et c’est tout à fait ça. Faire de l’autodidaxie veut dire s’autoenseigner.

Cette autodidaxie offre plusieurs bénéfices pour l’apprenant(e). D’abord, elle permet de maintenir la concentration. En effet, le fait de devoir verbaliser des pensées à haute voix ne permet pas à l’esprit de s’égarer pendant le travail. Puis, elle permet de maintenir une certaine motivation en se formulant à haute voix des commentaires d’encouragement (« Super ! », « Enfin, je l’ai eu ! »). Finalement, comme je l’ai écrit plus haut, le fait de devoir verbaliser des idées oblige à choisir laquelle est la plus importante parmi celles qui « flottent » dans notre esprit. À ce sujet, ne tombez justement pas dans le piège de vous dire « Oui, mais moi je me le dis dans ma tête ».

Petite mise en garde, si vous entendez un musicien répéter et vous entendez soudainement %$ »/$/ » de « /% »/ ! »$ de ?%$%?$//, je vais te/R%/%/ »$$, oui, c’est de l’autodidaxie… En revanche, l’autodidaxie, tout comme l’enseignement, est efficace quand les commentaires formulés sont constructifs ou encourageants.

Pour faire de l’autodidaxie, vous pouvez répondre à deux questions très simples entre chaque essai :

  1. Qu’est-ce que je pense de ce que je viens de jouer ?
  2. Qu’est-ce que je devrais faire maintenant ?

Exemples : « La basse sonnait bien (1), maintenant je vais me concentrer sur la mélodie (2) » ; « Il me semble que mes épaules sont tendues (1), je vais le refaire plus lentement en me concentrant là-dessus (2) » ; « Super ! Je l’ai vraiment bien réussi ! (1) Maintenant, je vais essayer de le réussir encore 2 autres fois avant de passer à la mesure suivante (2) ».

Si ceci vous gêne, l’autodidaxie peut se faire à voix très basse ou en chuchotant !

Comme des psychologues le disaient à la blague au début de la pandémie : « Si vous parlez à vos murs, ce n’est pas grave. Appelez-nous s’ils vous répondent ».

Défi du 1% no. 7 : les dés décident

Le défi que je vous propose ici ajoutera possiblement un petit côté ludique à nos séances de travail. Ce petit côté ludique manque souvent cruellement à notre travail, et non, cela n’enlèvera pas le côté sérieux de votre démarche, et je vous assure que ça se fera au bénéfice de votre apprentissage.

Lorsqu’on travaille, on a souvent l’objectif — très logique j’en conviens — de « répéter jusqu’à temps qu’on réussisse ». En soit, faire ceci est mieux que de ne pas travailler du tout ! Cela dit, répéter les mêmes mouvements inlassablement va 1) créer des automatismes dans les mouvements qu’on ne pourra corriger qu’au prix de beaucoup d’efforts, et 2) rendre nos séances mortellement ennuyeuses.

Oui, il faut répéter pour bien apprendre nos mouvements, mais on devrait développer un contrôle de ces mouvements plutôt qu’un automatisme. Acquérir un contrôle plus développé de notre technique instrumentale et du jeu de certains passages exige surtout qu’on développe une adaptabilité dans notre jeu. La répétition à outrance de mêmes mouvements est le pire ennemi de l’adaptabilité : plus on répète, plus on fixe, et plus on fixe, plus on corrigera le mouvement au prix de gros efforts si cela s’avère nécessaire.

Vous pouvez développer une plus grande adaptabilité dans votre technique en modifiant constamment votre façon de jouer un passage d’une répétition à l’autre. Une façon simple d’y arriver est de répéter un passage en utilisant la technique des 2 tempi/3 volumes, ou encore 3 tempi/2 volumes. (Ceci est adapté d’un conseil que le guitariste Alvaro Pierri donnait fréquemment à ses élèves)

Admettons que vous devez travailler un passage de votre pièce qui se joue mf à 80 bpm.

  1. Imaginez les différentes combinaisons de volumes et de tempi qu’on peut faire avec p, mf, f et les tempi 40, 80 et 120 (ou 40, 60, 80 si les rythmes sont très rapides).
  2. Choisissez 6 combinaisons de volume et de tempo :
    • 40/p
    • 40/f
    • 80/p
    • 80/f
    • 120/p
    • 120/f
  3. Répétez ensuite votre passage en choisissant chaque fois une option différente. De cette façon, vous ne referez jamais la même chose deux fois de suite (votre attention vous remerciera) et vous devrez constamment vous adapter pour chaque répétition (votre technique instrumentale vous remerciera).

Comment choisir ?

  1. Vous pouvez indiquer les six combinaisons (ou neuf : 3 tempi, 3 volumes) sur une feuille que vous gardez à proximité de votre lutrin en guise de rappel visuel, et choisir une combinaison différente pour chaque répétition, ou alors…
  2. … j’ai volontairement proposé 3 tempi/2 volumes ou 2 tempi/3 volumes pour que chacune des 6 combinaisons puisse correspondre à une face d’un dé. Mettez un dé dans un petit contenant transparent pour les lunchs, et brassez le dé entre chaque répétition pour décider comment jouer la prochaine répétition (ou alors, ne vous préoccupez pas du contenant, brassez le dé, échappez-le dans le coin de votre salon, levez-vous pour aller le chercher, soyez triste, et réalisez pourquoi je vous ai suggéré le petit contenant). Ainsi, on a le côté ludique avec le hasard du dé; on a une gestion des répétitions qui aide l’apprentissage moteur et, finalement; on a une toute petite pause entre chaque répétition, ce qui est préférable aux répétitions en rafales sans aucune réflexion entre chacune d’elles.

Deux mises en garde : d’abord, cette technique de répétition, qu’on appelle la gestion aléatoire des répétitions, est utile lorsque la personne a déjà des acquis pour les mouvements à effectuer. Ainsi, il est normal de commencer à apprendre nos pièces en répétant les mêmes mouvements. C’est une fois que ces mouvements sont relativement acquis qu’on doit commencer à jouer avec eux comme je vous le propose ici. Ensuite (je vous demande de me faire confiance), il est fort probable que vous notiez une baisse de vos réussites lors de vos premiers essais. Les modifications vous déstabiliseront au départ et il est très possible que vous fassiez plus d’erreurs. C’est normal, et c’est même souhaitable. Plus vous allez vous vous adapter, plus vous allez stabiliser votre contrôle du passage.

Je vous conseille cette stratégie pour travailler les différents passages de vos pièces, et je vous supplie de l’essayer pour travailler vos gammes et vos exercices techniques.

Dans cet article, je vous conseille donc de vous mêler, et dans le prochain article, je vais vous proposer de vous parler seul(e)… ! Parfois, vouloir le bien de ses lecteurs n’est vraiment pas un concours de popularité 😊.

Défi du 1% no. 6 : sans instrument !

Avec le travail qu’on dit sans instrument, je pense qu’on peut pallier un des principaux débalancements typiques de la pratique de plusieurs musiciens et qui peut causer une réaction en chaîne de conséquences qui mènent à des problèmes lors des prestations. Ce débalancement, c’est la trop grande place qu’occupent les répétitions « physiques » sur l’instrument dans le travail instrumental. Les musiciens répètent beaucoup, de façon pas toujours optimale, et leur maîtrise d’une pièce s’appuie généralement trop sur la mémoire motrice qui, on l’a déjà vu, est très solide, mais aussi complètement stupide.

Évidemment, on doit jouer de l’instrument pour que la musique se produise. Toutefois, les notes que vous jouez ont un nom et les mouvements que vous faites ont aussi un nom. Ce que je vous propose, c’est d’ajouter à l’apprentissage des mouvements de votre pièce l’apprentissage les noms de ces notes et de ces mouvements.

Si vous lisez ceci : do ré mi do, do ré mi do, mi fa sol –, mi fa sol –, vous aurez peut-être reconnu la chanson Frère Jacques. Si je devais apprendre Frère Jacques, je pourrais très bien, avant d’avoir touché mon instrument, chanter la mélodie en disant le nom des notes comme je viens de l’écrire. Je pourrais même aller jusqu’à prendre mon instrument seulement quand j’aurai réussi à solfier par cœur le passage que je souhaite travailler. C’est ce que je vous encourage à expérimenter.

Choisissez un passage de 2 ou 4 mesures que vous n’avez pas encore travaillé dans une de vos pièces. Prenez place dans votre fauteuil préféré, puis solfiez le passage en question jusqu’à temps que vous soyez capable de le solfier par cœur. J’ouvre une petite parenthèse : avec cette stratégie, on se fout éperdument de la justesse. L’objectif est ici d’associer des noms de notes à la mélodie de la pièce qu’on aura très souvent dans la tête dans les jours pendant lesquels nous la travaillerons. D’ailleurs, il vous est sûrement arrivé de marcher dans la rue, vous brosser les dents ou laver la vaisselle en ayant vos pièces qui vous trottent dans la tête. À ce moment, c’est votre mémoire auditive qui travaille, et c’est très bien ! Avec la stratégie du solfège que je vous propose, vous allez ajouter le nom des notes à cette mélodie qui trotte dans votre tête. Exactement comme quand on a une chanson populaire en guise de ver d’oreille, chanson où on entend les paroles et la mélodie dans notre tête, les noms des notes de votre pièce en apprentissage deviendront en quelque sorte ses paroles.

Et ce n’est pas tout ! Si vous jouez d’un instrument qui implique de choisir des doigtés ou des coups d’archet, on peut aussi solfier nos doigtés ou nos coups d’archet. Il est même possible, pendant que vous jouez, que vous solfiiez dans votre tête le nom des notes pour certaines mesures et les doigtés pour d’autres mesures techniquement plus difficiles. Dans ce cas-ci, ce seront vos coups d’archet qui joueront dans votre tête en même temps que la mélodie lorsque vous ferez votre vaisselle ou marcherez à l’extérieur.

Vous pouvez utiliser cette stratégie en blocs d’apprentissage (30 minutes de solfège assis sur un fauteuil), ou encore alterner par exemple deux essais d’un passage à l’instrument avec un essai en solfège. Ces petites pauses-solfège seront d’ailleurs bénéfiques à votre posture et votre respiration pendant votre travail à l’instrument.

Faites ceci régulièrement, et je vous promets 2 choses. La première et que vous apprendrez le passage en question beaucoup plus rapidement lorsque vous prendrez ensuite l’instrument. Ma deuxième promesse est que, une fois sur scène, une partie du dialogue intérieur pas toujours positif pourra être remplacé par ces noms de notes. Si je joue Frère Jacques sur scène, je préfère entendre dans ma tête : do ré mi do, do ré mi do, mi fa sol –, mi fa sol – plutôt que : t’es pas bon-on, t’es pas bon-on, tout l’mond’ rit–, tout l’mond’ rit —

Si vous voulez en savoir plus sur les stratégies sans instrument, je vous invite à écouter un des épisodes de mon podcast. Bon solfège!