On m’a récemment posé la question, d’une façon tout à fait polie : Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Grande question existentielle — du moins dans mon existence — à savoir pourquoi, à 42 ans, tout vendre pour ne garder que le contenu de trois valises et aller s’installer à l’autre bout du monde. En fait, après plusieurs années à transmettre de la recherche et à imaginer des moyens de l’appliquer pour les musiciens, j’avais besoin de produire de la recherche aussi, et de retrouver un peu le plaisir d’apprendre. Je n’étais pas du tout fatigué de « faire apprendre », mais il y a quelque chose que je trouve vraiment passionnant dans le fait de participer à un projet qui va découvrir du savoir qui nous est encore caché. Donc, grâce à une bourse du FRQSC (Fonds Québécois de Recherche sur la Société et la Culture), me voilà à la Sir Zelman Cowen School of Music and Performance de l’Université Monash à Melbourne, en Australie pour un stage postdoctoral de deux ans pendant lequel je mènerai un projet de recherche dans ce superbe pays des kangourous, des koalas et du Vegemite.
Pour ceux et celles qui se demandent ce qu’est, concrètement, un « postdoc », c’est un stage de recherche davantage autonome qu’on réalise après des études doctorales (qui, elles, sont supervisées), dans une entreprise, un groupe de recherche ou une institution d’enseignement supérieur. Le stage peut être financé par une bourse (mon cas) ou être affiché par une université comme un contrat de travail d’environ un à trois ans.
Lorsqu’on demande une bourse pour réaliser un stage postdoctoral, on doit démontrer qu’on vise à poursuivre notre recherche doctorale dans une nouvelle direction. Ma recherche doctorale portait sur l’utilisation de la caméra vidéo comme outil de réflexion chez les musiciens. Bien que plusieurs musiciens affirment s’en servir — et que son utilité apparaisse plutôt « logique » — il y a encore peu de recherches qui ont porté sur les meilleures façons d’utiliser cet outil en musique. Pour ma recherche, j’ai comparé les données d’un groupe de musiciens qui ont utilisé la caméra vidéo dans les dix premières séances de travail d’une nouvelle pièce avec les données d’un groupe de musiciens qui ont réalisé les mêmes tâches, mais sans utiliser la caméra. J’ai pu observer que les musiciens qui ont utilisé la caméra 1) évaluaient des aspects différents de leurs prestations lorsqu’ils visionnaient leurs vidéos; 2) jouaient ensuite des segments plus longs de leurs pièces, et à un tempo plus rapide, plus tôt dans le processus d’apprentissage et 3) formulaient des réflexions plus liées à la résolution de problèmes qu’à des réactions émotives de type content/pas content durant leur travail instrumental. (Si la recherche scientifique vous intéresse, je vous invite à écouter cet épisode de mon podcast qui s’intitule « La recherche scientifique 101 »)
Après quelques années à présenter ces résultats à des musiciens, j’ai souvent eu des témoignages de profs qui utilisaient la vidéo avec leurs élèves pour corriger des éléments de leur jeu entre les leçons hebdomadaires (bravo!), de parents qui mentionnaient que cela motive grandement leur enfant de produire une vidéo qui sera ensuite partagée avec la famille sur le « Groupe Messenger familial » (plein de bravos!), ou encore d’étudiants musiciens qui confirmaient mes résultats en affirmant avoir l’impression de faire des pas de géant par eux-mêmes entre leurs leçons, et qu’ils pouvaient ensuite aller beaucoup plus loin avec leurs profs lors des leçons (bingo!).
En même temps que je me suis beaucoup intéressé à la réflexion que le visionnement solo d’une prestation peut donner, et que je m’intéresse depuis toujours à l’efficacité de la pratique individuelle, j’ai vu passer des résultats de recherche très intéressants sur l’apport de la collaboration entre étudiants, tant sur le plan de la motivation que sur le plan de l’apprentissage. J’ai fait plusieurs expériences en ce sens dans mon enseignement à l’UdeM, et ce que j’ai pu constater chez mes étudiants m’a convaincu de l’importance d’instaurer des activités qui leur donnent l’occasion de développer leur réflexion et leur capacité à collaborer et à s’échanger des commentaires.
C’est justement là-dessus que porte mon nouveau projet de recherche. Le visionnement solo de prestations personnelles offre plusieurs bénéfices aux musiciens, mais qu’en est-il lorsqu’on ajoute une dimension sociale à l’activité en partageant la vidéo avec des collègues ? On a beaucoup de recherches sur la façon dont les profs devraient formuler leurs commentaires à leurs élèves, mais est-ce que ces recommandations s’appliquent également dans le cas de la rétroaction entre pairs ? Qu’arrive-t-il à des étudiants musiciens sur le plan de leur motivation ou de leur autonomie d’apprentissage lorsqu’on instaure davantage d’activités de rétroaction entre pairs dans leur cheminement instrumental ? Est-ce que de telles activités peuvent changer le rapport des étudiants avec le processus de rétroaction en général (commentaires de profs, de juges, du public, etc.) ?
Voilà quelques questions auxquelles je vais tenter d’apporter une contribution avec mon projet de recherche ici. Dans mes prochains billets, je vous parlerai un peu de mes découvertes sur l’apprentissage collaboratif qui m’apparaît comme un aspect grandement sous-estimé dans l’enseignement instrumental.
En attendant, quelques anecdotes personnelles d’un Québécois en Australie :
– Les Australiens sont vraiment sympathiques et te lancent un « Hawaya mate ? » (How are you, mate?) avec un gros sourire lorsqu’on les croise dans la rue. Ça me semblait bizarre au début dans ma tête de Nord-Américain dans sa bulle, mais c’est finalement beaucoup plus agréable que de se croiser les yeux baissés.
– Comprendre l’accent australien est un beau défi. Cela dit, il y a une théorie/légende urbaine qui dit que le peu d’articulation des Australiens serait explicable par le fait d’éviter d’avaler des mouches en parlant. Environ 735 mouches digérées plus tard, je vous confirme la théorie et je réfléchis vraiment à ce que je veux dire avant de parler en marchant…
– J’ai trouvé le courage de goûter au Vegemite : en gros, c’est de la mélasse dans laquelle on a échappé 3 chaudières de poudre de bouillon de poulet. J’ai un pot de Vegemite — avec deux petites marques de cuillère dans la pâte — à vendre si jamais il y a des intéressés.
– 37 degrés un 2 janvier, ça fait bizarre pour un Québécois, et je ne pensais pas que le niveau d’UV pouvait atteindre 14 sur l’application de Météomedia
– Quand on marche tard en soirée et qu’on trouve bizarre d’être complètement seuls dans la rue, c’est parce que les Australiens, EUX, savent que « elles » sortent quand il fait noir. 1 mètre d’envergure d’ailes et elles volent parfois environ 7-8 pieds au-dessus du milieu de la rue : My God que j’avais hâte d’arriver à la maison…
Bonjour! Tellement intéressant!! Bravo et merci pour ces super partages. Vous êtes une personne inspirante. J’ai enseigné un an à l’école Menuhin à Surrey en Angleterre (j’étais prof-assistante pour les violonistes et altistes) et j’ai connu plusieurs australiens… tous super sympa!
Merci et bon séjour! 🙂
Guylaine Grégoire
prof au Conservatoire de musique de Saguenay et un peu partout dans la région 🙂
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Merci pour vos bons mots Guylaine! Comme vous l’avez sûrement expérimenté en Angleterre, je trouve vraiment intéressant de constater comment l’enseignement instrumental est organisé ici. Et oui, travailler ici avec des gens toujours sympas rend le projet très agréable!
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Formidable. Je vais vous suivre encore dans ces nouvelles recherches! Je suis membre de l’orchestre de la SGM et suis davantage une chambriste qu’une soliste. Mais se pourrait-il que l’apprentissage à l’aide de la caméra et le partage par section puissent contribuer à une meilleure homogénéité d’ensemble et ce, plus rapidement. Pour ma part, il me faudra travailler aussi à surmonter ma timidité en partageant mes vidéos. Mais je trouve la démarche intéressante!
Merci pour le partage! À plussss!
Françoise Tardy
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Bonjour Françoise! Merci pour vos bons mots!
Votre question est vraiment intéressante, et d’ailleurs, j’espère justement travailler avec des petits ensembles de musique de chambre ici pour explorer ce que vous suggérez! Je pense aussi qu’en partageant des vidéos de leur partie d’ensemble avec leurs collègues, les membres d’un petit ensemble peuvent parvenir à jouer en étant conscients des parties des autres plus tôt dans le processus d’apprentissage. C’est souvent quelque chose qui prend du temps à arriver puisqu’au début, on est toujours un peu fixé sur notre partition, et on libère notre attention pour la porter sur le jeu des autres seulement quand on est très à l’aise de la jouer. Ainsi, comme vous le proposez, entendre les autres jouer leur partie sans la contrainte de jouer en même temps peut certainement aider sur ce plan. Vous m’en donnerez des nouvelles!
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Merci Mathieu Boucher pour ce partage! J’aime vous suivre. Je suis vraiment intéressé de connaître la suite de votre cheminement qui m’influence dans mon enseignement. Les concerts et les examens s’en viennent. Je vais ressortir ma tablette!
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Merci Sylvie! Je suis content de savoir que cela vous aide! Et oui, on ressort la tablette avant les examens! J’ai souvent entendu des musiciens et musiciennes me dire que ça les aidait dans les « derniers droits » lorsqu’on commence à ne plus savoir quoi faire avec nos pièces.
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