Imaginer l’après-pandémie : reZoom ou deZoom ?

Au début de la pandémie, j’avoue que je me grattais un peu la tête en me demandant comment on allait s’en sortir. Et je dois dire que, bien que nous fassions partie d’un milieu en général très (trop ?) conservateur, j’ai été franchement impressionné par les innovations mises en place par des enseignant(e)s de tout âge.

La pandémie a forcé bon nombre d’enseignants et d’enseignantes à modifier radicalement leur façon d’enseigner, à tout niveau et pour toute discipline confondue. L’enseignement instrumental n’y a pas fait exception, et le défi était même de taille pour nous puisque nous sommes habitués de jouer en même temps que l’élève, de marcher dans notre local d’enseignement pour voir et entendre l’élève de différents points de vue, de rappeler des consignes pendant que l’élève joue, de replacer des petits doigts ou des épaules désalignées, etc. Tout ça est impossible avec Zoom ou toute autre plate-forme qu’on utilisait à peine à des fins professionnelles avant mars 2020.

La rentrée scolaire à nos portes va peut-être s’accompagner de ce qu’on appelle communément depuis plusieurs mois un « retour à la normale ». Mais je me pose la question : est-ce qu’on veut vraiment revenir à un « avant » intégral avec tout ce qu’on a vécu ? Est-ce qu’il n’y a pas du bon à garder dans les innovations pédagogiques forcées par la pandémie ?

J’ai mentionné que j’ai été impressionné par les innovations entreprises par plusieurs. En effet, j’ai vu des musiciens enseigner avec 3 caméras pour que l’élève voit différents points de vue ; d’autres ont saisi l’occasion d’amener leurs élèves à composer sur des logiciels d’édition musicale, d’autres ont enregistré des capsules vidéo pour leurs élèves, d’autres ont organisé des groupes Facebook sur lesquels les élèves publiaient entre eux des vidéos de leurs prestations enregistrées à la maison, et l’enseignant(e) supervisait les rétroactions que cela suscitait. À tout cela, je lève mon chapeau bien bas, et plusieurs enseignant(e)s m’ont énormément inspiré.

Toutefois, un élément particulier n’a pratiquement pas été remise en question alors qu’il est au cœur du problème qui m’amène à offrir toutes sortes de services aux musiciens (placement publicitaire assumé) : la sacro-sainte heure de cours fixe hebdomadaire. En effet, pour des raisons probablement plus organisationnelles que pédagogiques (c’est compréhensible), on a continué d’offrir 1 heure de cours par semaine à nos jeunes élèves, quitte à les regarder se liquéfier et dépérir graduellement sur l’écran après 50-55 minutes de cours. Je trouve ceci un peu dommage puisque l’enseignement en ligne, pandémie ou pas, nous permet de repenser la formule d’enseignement traditionnelle sans occasionner plus de coûts ou de déplacements pour l’élève, en plus d’amener des avantages certains sur le plan pédagogique. J’ai donc envie d’écrire là-dessus, même si le résultat peut être une diminution de la demande pour mes excellents services aux musiciens (placement publicitaire assumé).

Les élèves n’ont souvent pas l’autonomie nécessaire pour gérer efficacement (et parfois sans aide d’un adulte) une semaine complète de travail. Pourtant, ce besoin d’autonomie vient précisément du fait que les élèves ne voient leur enseignant(e) qu’une fois par semaine. Bien que ce serait idéal sur le plan pédagogique, donner 3 x 20 minutes de cours par semaine à un élève à des moments différents, plutôt que la traditionnelle heure de cours, est difficilement réalisable pour les parents et plus lourd sur le plan de l’organisation pour l’enseignant(e). Mais en procédant ainsi, l’enseignant(e) pourrait plus facilement donner des objectifs à court terme à l’élève, l’aider à séquencer efficacement son travail et corriger des erreurs dès leur apparition, mettant ainsi moins de poids sur l’autonomie de l’élève. Alors, pourrait-on imaginer un compromis ?

Prenons les actions effectuées par l’enseignant(e) et l’élève pendant une leçon :

  • L’enseignant(e) parle pour donner des consignes à l’élève pour son travail de la semaine à venir
  • L’enseignant(e) parle pour donner des commentaires à l’élève sur son jeu (et donc le résultat du travail de la semaine précédente)
  • L’enseignant(e) joue pour donner des exemples à l’élève
  • L’enseignant(e) explique de nouvelles notions à l’élève
  • L’élève parle pour communiquer des informations à l’enseignant(e) et répondre à ses questions
  • L’élève joue pour l’enseignant(e)

Très souvent, ces actions sont reprises pour chacun des exercices et chacune des pièces que l’élève doit apprendre.

Commençons par reprendre chacune de ces actions et imaginer comment elles peuvent être adaptées à un enseignement en ligne pour continuer de servir l’intérêt de l’élève (« C’est maintenant que tu le dis ?!? », vous vous dites probablement). Ensuite, je suggérerai des modifications à notre formule de cours en présence plus traditionnelle pour inclure ces éléments sans vous demander de travailler 169 heures par semaine.

L’enseignant(e) joue pour donner des exemples à l’élève

Vous jouez pour l’élève sur Zoom et la connexion coupe. Vous essayez d’expliquer quelque chose pendant que vous jouez et le micro de votre appareil capte mal vos paroles. Ça vous dit quelque chose ?

YouTube regorge de prestations, très variables sur le plan de la qualité, j’en conviens, mais qui peuvent servir d’exemples ou de contre-exemples pour vos élèves. Plutôt que d’amener votre élève à imiter ce que vous jouez, pourquoi ne pas lui demander en guise de devoir d’écouter 3-4 versions de sa pièce (ou du même compositeur/style/époque) et d’écrire ses impressions ou les partager verbalement lors d’une rencontre virtuelle ? (Quelle prestation était sa préférée ? Pourquoi ? Comment pourrait-il/elle modifier son jeu pour inclure les éléments appréciables ?) Et qu’en est-il des prestations plus amateures sur YouTube ? Celles-ci peuvent être tout autant pédagogiques lorsque l’élève est conscient de la nécessité d’imaginer d’autres possibilités par rapport à ce qu’il entend plutôt que d’imiter la prestation. En procédant ainsi, vous développez selon moi davantage les réflexions de vos élèves plutôt que leur capacité d’imitation…

VideoAnt est une application géniale qui permet de découper et commenter des vidéos YouTube avant de partager nos analyses, sans utiliser le mode commentaires qui est public. Son utilisation est gratuite et vous devez simplement créer un compte Google (Gmail) pour l’utiliser si vous n’en avez pas déjà un. L’enseignant(e) pourrait donc proposer à l’élève des vidéos de prestations à commenter. L’enseignant(e) pourrait aussi, à l’inverse, commenter de son point de vue des prestations de grands musiciens et partager son analyse à l’ensemble de ses élèves. Diriger l’attention des élèves vers des éléments de ces grandes prestations auxquels ils/elles n’auraient pas pensé autrement peut être très formateur et inspirant.

L’enseignant(e) explique de nouvelles notions à l’élève

Posture, exercices de réchauffement, montage et démontage de l’instrument, bien phraser une mélodie, importance d’exagérer les nuances, méthodes de travail efficaces, etc. Combien de fois répétez-vous les mêmes conseils chaque semaine à plusieurs élèves différents ? Pourquoi ne pas expliquer une seule fois ces notions devant une caméra et vous faire une petite chaine YouTube privée ? Vous pourriez ensuite transmettre les liens vidéo aux élèves concernés avant un cours lorsque vous savez que vous aborderez un sujet précis. De plus, vos élèves plus motivé(e)s seront sûrement heureux d’écouter vos capsules même si le sujet ne les concerne pas directement à ce moment. Vous pourriez aussi impliquer vos élèves avancés pour des capsules destinées aux petits. Je suis certain que certains seront très fiers de la confiance que vous leur portez et qu’ils prendront leur rôle très au sérieux. Cela motivera assurément les plus jeunes de voir leurs pairs plus avancés en action et, qui sait, cela les inspirera peut-être à travailler pour devenir un jour des modèles à leur tour ?

L’élève joue pour l’enseignant(e)

On inverse le problème déjà mentionné : votre élève joue sur Zoom et la connexion coupe. Vous essayez d’expliquer quelque chose pendant qu’il joue et il n’entend pas puisque Zoom choisit par défaut son micro et bloque le vôtre. Ça vous dit quelque chose ?

« Pourtant, c’était parfait à la maison ! » Un classique… Or, l’enregistrement vidéo à la maison est désormais plus facile que jamais, et la qualité audio-vidéo de ces enregistrements sera toujours supérieure à celle qu’on obtient pendant une réunion virtuelle. Ainsi, au lieu de commencer la leçon par une prestation de l’élève, il/elle pourrait plutôt enregistrer une bonne version de sa pièce et vous transmettre la vidéo à l’avance. Si on veut pousser encore plus loin, l’élève pourrait vous envoyer des commentaires d’autoévaluation de sa prestation en même temps que sa vidéo. Fait vécu : les élèves deviennent parfois incroyablement pointilleux pour envoyer la vidéo la plus parfaite possible et se reprennent à plusieurs reprises pour l’enregistrement. Ce faisant, ils s’autoévaluent de façon très détaillée et effectuent par eux-mêmes plusieurs améliorations avant même que vous ayez pu voir un résultat final.

On revient ici avec l’application VideoAnt : l’élève pourrait déposer ses meilleures vidéos de prestations sur YouTube en mode non répertorié et les analyser ensuite avec VideoAnt. Grâce à l’application, il/elle peut partager son analyse avec des collègues et recevoir leurs commentaires, profitant ainsi des nombreux avantages de l’évaluation par les pairs. Cela revient à une sorte de classe d’ensemble virtuelle qui peut s’étendre sur plusieurs jours. Sur le plan de la motivation, les parents peuvent partager ces vidéos avec des proches afin que l’enfant reçoive des éloges sur ses prestations. Peu importe l’âge, recevoir des encouragements et de l’admiration de non-musiciens est un important facteur de motivation et de persévérance chez l’élève.

L’enseignant(e) parle pour donner des consignes à l’élève pour son travail de la semaine à venir

L’enseignant(e) parle pour donner des commentaires à l’élève sur son jeu (et donc le résultat du travail de la semaine précédente)

L’élève parle pour communiquer des informations à l’enseignant(e) et répondre à ses questions

Dans ces trois cas, il s’agit d’interactions verbales qui sont assez simples, qu’on soit en mode présentiel ou virtuel. Cela dit, l’enseignant(e) devrait mettre par écrit des objectifs clairs pour l’élève pour les jours de travail à venir (des épisodes de la saison 2 du podcast seront consacrés à planification et la formulation d’objectifs). Mettre par écrit les consignes sur un document Word stocké dans un cloud et partagé avec les parents ou un Google Docs permet à tous (prof, élève, parents) d’avoir accès au même document de consignes pour le travail à la maison.

Concernant les commentaires sur le jeu de l’élève, l’évaluation de l’enseignant(e) devrait impérativement suivre, et non précéder, les commentaires d’autoévaluation de l’élève après avoir joué, et que l’élève ait aussi accès à des commentaires d’évaluation de la part de pairs, en plus des encouragements de son entourage. Ces commentaires d’autoévaluation et d’évaluation par les pairs peuvent être transmis verbalement lors de réunions virtuelles en petits groupes ou encore par écrit avec une chaine YouTube privée ou des applications comme VideoAnt.

L’après-pandémie : un mode hybride ?

Vous l’aurez deviné, je crois que revenir à une formule identique à l’avant-pandémie nous ferait manquer plusieurs opportunités de modifier positivement le cheminement traditionnel de nos élèves. L’aisance avec laquelle la plupart des élèves utilisent la technologie nous permet de repenser la formule de la leçon hebdomadaire (au singulier) d’une heure pour diminuer la pression exercée sur l’autonomie de l’élève. Mais comment intégrer à votre horaire les suggestions formulées plus haut sans y laisser votre peau ?

Imaginez que vous demandez un certain tarif pour une leçon de 60 minutes, et que vous conservez désormais le même tarif, mais en indiquant « par semaine » au lieu et « par heure ». Vous pourriez proposer une leçon hebdomadaire à heure fixe, mais plus courte. Par exemple, si vous avez 20 élèves par semaine à qui vous donnez des leçons de 45 minutes au lieu de 60 pour le même tarif, vous voilà libéré(e) de 20 x 15 minutes par semaine (donc 5 heures) que vous pouvez utiliser pour mettre en place certaines des suggestions faites plus haut :

  • enregistrer des capsules d’explications,
  • analyser des prestations et les partager aux élèves,
  • visionner les vidéos envoyés par vos élèves et lire leurs commentaires d’autoévaluation (ou ceux partagés par leurs collègues),
  • réaliser des plans d’apprentissage des pièces incontournables du répertoire, etc.

Avec des élèves plus jeunes, j’irais même jusqu’à proposer une leçon de 30 minutes en présence et un suivi par Zoom de 15 minutes à mi-chemin dans la semaine. Ces rencontres de suivi pourraient même être plus longues et rassembler 3-4 élèves de même âge/niveau qui discutent de leur semaine avec vous et leurs collègues. Le 15 minutes restant dans l’heure payée par le parent servirait, comme pour les autres élèves, à produire du matériel.

Oui, mais…

J’écris ceci et j’entends déjà des « oui, mais… ». L’accent qu’on met sur la leçon hebdomadaire transparait aussi dans l’aspect purement financier de notre métier. On donne nos tarifs à l’heure, et on envisage notre travail de la sorte. Le parent paie pour 60 minutes et on remplit ces 60 minutes pour respecter notre engagement. Or, je verrais mal un parent être insatisfait de payer le même tarif pour une leçon plus courte, si l’enfant a accès à des capsules que vous auriez enregistrées, des commentaires écrits sur ses vidéos à mi-chemin pendant la semaine de travail, des réunions virtuelles au cours de la semaine avec vous et d’autres élèves, des planifications d’apprentissage de pièce, etc.

Donnez votre cours court (!) et créez votre propre Netflix pédagogique et je suis certain qu’aucun parent ne se plaindra.

Ce genre de projet ne peut que se bonifier au fil des années, et je crois que vous pourriez vous associer à des collègues de confiance pour créer encore plus de capsules et de ressources et créer des échanges entre vos élèves respectifs. (OMG!!! … Je viens d’accrocher un autre intouchable : voir toujours le même prof chaque semaine…). Dans tous les cas, soyez des scientifiques dans l’âme et faites un projet-pilote avec quelques élèves seulement pour expérimenter les stratégies et apporter des correctifs rapidement et facilement avant d’étendre votre offre à toute votre clientèle.

Bien que je doive publier sur mon blogue une version définitive de ce texte, je souhaite que cette version finale du texte soit surtout le début d’une réflexion et d’une période d’échanges entre nous. Je serai très heureux que vous partagiez avec moi les bons et mauvais côtés de vos expériences, à venir ou passées, avec différentes formules pédagogiques, et les solutions trouvées en cours de route.

Que mes suggestions soient possibles ou pas dans votre situation, je pense que toute initiative visant à soutenir nos élèves pendant leur semaine de travail peut être bénéfique pour eux, et cela diminuera le besoin essentiel pour tous les musiciens de consulter les extraordinaires ressources que j’offre. 😉

3 réflexions sur “Imaginer l’après-pandémie : reZoom ou deZoom ?

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